Des plateaux aux salles obscures, le cinéma peut-il être écolo?

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Même les tournages de films pro-environnement sont très loin d’être irréprochables. Et même les lieux de projection sont souvent des catastrophes ambulantes…

Image tirée du film Demain, de Mélanie Laurent et Cyril Dion (2016). | Capture d'écran FilmsActu via YouTube
Image tirée du film Demain, de Mélanie Laurent et Cyril Dion (2016). | Capture d’écran FilmsActu via YouTube

Rares sont les réalisateurs climato-sceptiques. De blockbuster en festival, le cinéma a plutôt tendance à s’engager pour défendre royalement la cause de l’environnement. Cyril Dion (réalisateur de Demain et Animal) et Magali Payen (fondatrice du mouvement On Est Prêt) publiaient ainsi, le 11 juillet 2021, une tribune vert pomme au cœur du très chic Festival de Cannes, dûment signée par les cinéastes de la sélection «Le cinéma pour le climat».

Les signataires y rappelaient le premier rôle du cinéma dans la course à l’écologie, mettant en avant quelques sorties marquantes. «En 2007, Une vérité qui dérange d’Al Gore, présenté à Cannes puis couronné d’un Oscar, a ouvert les yeux du monde entier sur le changement climatique; depuis 2008 le film Home de Yann Arthus-Bertrand a été vu par plus de 800 millions de personnes dans le monde, accélérant la prise de conscience écologique. En 2016, le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent a fait souffler un vent d’espoir et déclenché des milliers d’actions dans plusieurs pays. En 2019, la série documentaire Notre Planète de David Attenborough a sensibilisé plus de 40 millions de personnes à la beauté et à la fragilité du vivant.»

Ajoutons à ce brillant palmarès un bon vieux film de science-fiction, Soleil vert, réalisé par l’Américain Richard Fleischer, avec Charlton Heston dans le rôle principal. Bien que sorti sur les écrans en 1973, il anticipait une pénurie des ressources naturelles en 2022 dans un monde où les hommes se mangent entre eux. Rendons à Oscar ce qui est à Oscar: c’était tout de même bien vu. Que l’aristocratie filmique s’engage aujourd’hui à protéger la planète n’est pas étonnant. Mais comment transformer le réel et insuffler une éthique biocompatible avec le sens de l’esthétique?

Films catastrophe

Il n’y a qu’à se rendre sur le tournage ordinaire d’un film pro-environnement pour évaluer son impact carbone. Caméras en séries. Lumières éblouissantes. Câbles électriques lâchés un peu partout. Groupes électrogènes. Décors éphémères –souvent détruits au final. Camions et voitures fumantes véhiculant équipes et équipements. Déchets en tous genres dont résidus culinaires.

Le collectif Ecoprod propose conseils et informations pratiques afin de privilégier le geste écologique au sein du secteur filmique.

«Il y a une prise de conscience effective de la part du cinéma français pour s’engager à protéger l’environnement à l’occasion des tournages mais, dans la réalité, tout le monde ne fait pas l’effort nécessaire», explique Marie-Christine Février, administratrice de production. «Il n’y a qu’à regarder les poubelles de tri pendant un tournage après un déjeuner. Il y a ceux qui respectent le tri et d’autres… pas du tout.»

Lumière et compagnie

La lumière dans un film, c’est un peu comme la couleur en peinture. L’artiste la travaille par des plans dont il est le seul agent, jusqu’à obtenir l’émotion désirée. Par ses jeux de lumière, un réalisateur nous plonge ainsi dans le mystère de l’enfance, la haute science-fiction ou les murs d’une prison. Mais si la lumière naturelle vient à manquer pour un plan ou qu’une scène est tournée de nuit ou en studio, c’est bien sa version artificielle qui prend le relais.

C’est ici que le cinéma blesse car cette lumière, comme les douceurs au temps sucré de l’entracte, coûte bonbon tant sur le plan financier qu’environnemental. D’où question. Comment s’y prendre pour diminuer l’impact polluant d’un film pourtant bien-pensant?

Un film réalisé sans acteur ni actrice serait un pur cadeau pour la nature tant les acteurs et les actrices consomment une énergie folle. Mais il y manquerait sans doute un petit quelque chose. Qu’on se rassure. Des cinéastes au cœur visionnaire ont d’ores et déjà créé, en 2009, le collectif Ecoprod, qui propose conseils et informations pratiques afin de privilégier le geste écologique au sein du secteur filmique. L’association propose intelligemment un guide de l’éco-production «conçu pour servir de feuille de route lors de la réalisation éco-responsable d’un projet audiovisuel». Dans le même élan, Ecoprod propose un calculateur nommé Carbon’ Clap afin d’évaluer l’impact carbone d’un tournage.

«Tout comme la consommation énergétique d’un particulier, celle d’un tournage devra être contrôlée et diminuée au maximum, pour réduire les frais et ne pas consommer n’importe comment. Et c’est là que les lampes LED entrent en jeu», souligne une plume technique sur ce site dédié à l’éclairage.

La bobine d’un chaud ténébreux aurait donc intérêt à imprimer la pellicule en mode diode électroluminescente. En effet, «les ampoules LED sont aujourd’hui les ampoules recommandées car elles consomment très peu d’électricité pour un excellent rendement lumineux. Leur prix d’achat est plus élevé que celui des lampes fluo compactes mais leur durée de vie bien plus longue. Elles sont donc plus rentables», rappelle de son côté la rédaction du site Quelle Énergie.

Bientôt dans vos salles

Les salles de cinéma sont elles aussi concernées. Le 30 juin 2021, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) lançait un «Plan Action!» afin que la réalité de la conversion dépasse la fiction. Les conclusions du premier audit énergétique et environnemental commandité par le CNC, entrepris par la société Eneor auprès de quatorze salles de cinéma aux profils différents, ont été officialisées le 8 juin dernier.

À compter du 31 mars 2023, le CNC n’accordera une aide à la production que si les producteurs lui présentent un bilan carbone prévisionnel.

Résultat des courses, les postes les plus énergivores de la salle de ciné sont le chauffage, la ventilation et la climatisation, sans oublier les projecteurs au xénon, qui fonctionnent comme des néons. En fin de vie, ces derniers pourraient prochainement être remplacés par des projecteurs au laser beaucoup moins gourmands en chauffage. Une trentaine d’actions ont ainsi été proposées par la société Eneor, dont la réduction de 1°C du chauffage dans les salles, ainsi qu’une meilleure isolation des bâtiments.

Formation nécessaire

Réaliser un film vert en toute cohérence suppose de se former à bonne école. Pour les volontaires, il serait judicieux de prendre part à la formation à l’éco-production dispensée par l’association Ecoprod. La Femis creuse aussi sérieusement le sujet, tandis que l’ESIS propose des cursus en alternance dans la mouvance de l’écologie filmique.

Une intelligence nouvelle advient dans le secteur du film et du téléfilm. À compter du 31 mars 2023, le CNC n’accordera une aide à la production que si les producteurs lui présentent un bilan carbone prévisionnel. Reste aux réalisateurs de road movies à privilégier les voitures électriques. Thelma et Louise apprécieront.

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