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Pour que les hommes soient davantage impliqués dans la protection collective et que les femmes ne soient plus les victimes collatérales d’une crise sanitaire, comme celle du Covid-19.
Lorsque l’on dresse un bilan provisoire de la pandémie de Covid-19 afin de considérer s’il serait possible de mieux faire pour la suite et/ou en vue d’une éventuelle autre pandémie, la question de la prévention est fondamentale.
En décortiquant le sujet, on en vient à se demander si cette prévention ne gagnerait pas à être genrée –ou tout du moins à prendre davantage en compte les inégalités hommes-femmes qui ont été exacerbées au cours des trois dernières années de pandémie.
Différences de comportement
Le recul et les études menées sur le sujet mettent en avant de nombreuses disparités de genre. D’abord, il apparaît que ce sont les hommes qui sont le plus à risque de développer des formes graves de la maladie et d’en mourir. En mars 2022, deux chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED) ont publié un article sur le sujet, dans lequel ils montrent que la surmortalité liée au Covid était plus importante chez les hommes, tout particulièrement à partir de 55 ans.
S’il existe des disparités d’ordre purement biologique –les femmes semblent intrinsèquement moins à risque de développer des formes graves–, les chercheurs pointent aussi du doigt des facteurs sociaux et comportementaux. «Les femmes sont biologiquement moins fragiles que les hommes, mais les écarts viennent surtout de leurs activités et leurs comportements. Tout au long de la vie, les hommes prennent plus de risques que les femmes et ont plus fréquemment des comportements nocifs pour la santé –notamment, ils fument plus et boivent davantage d’alcool. Les femmes, de leur côté, sont en général plus attentives à leur santé et consultent plus souvent les médecins», pointent Gilles Pison et France Meslé. Dès lors, les hommes ont davantage de comorbidités –diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, dyslipidémies– qui les exposent davantage aux risques de formes graves de Covid.
En outre, l’étude conduite lors de la première vague montre que, s’il y a eu une plus forte mortalité par Covid-19 chez les hommes âgés entre 25 et 34 ans, celle-ci a surtout concerné «des personnes nées à l’étranger, en particulier en Afrique ou en Asie, car résidant souvent dans les régions les plus touchées par cette vague (Île-de-France ou Grand Est), et exerçant des métiers ne permettant pas le télétravail et exposant beaucoup à l’infection».
Par ailleurs, et de manière un peu contre-intuitive, les deux auteurs émettent une hypothèse: «Les hommes auraient ainsi été plus attentifs à leur santé que les femmes dans le cas de la vaccination contre le Covid-19, ou au moins plus obéissants aux directives sanitaires. Alors qu’on observe le plus souvent que les hommes ont des comportements moins favorables à la santé que les femmes.»
Cela dit, une tribune publiée début janvier dans Le Journal du dimanche vient quelque peu nuancer ces propos. Les professeures Sylvie Borau, Hélène Couprie et Astrid Hopfensitz y évoquent un moindre engagement des hommes célibataires en matière de prévention: «Notre étude, menée dans soixante-sept pays auprès de 46.000 répondants, montre une différence notable d’acceptation des mesures de prévention sanitaire entre hommes célibataires et hommes mariés, et ce, quel que soit l’âge et la culture des individus interrogés.»
Elles notent également: «Ce n’est pas tant un rapport décomplexé au risque, une manière de poser sa virilité, en prenant des risques individuels, qui fait la différence. D’après notre recherche, l’élément qui distingue surtout le célibataire de l’homme marié est sa moindre attention aux autres, son altruisme plus limité par rapport au groupe et à la collectivité. Il a, moins que l’homme marié, des scrupules moraux et surtout un moindre sentiment d’appartenance à un collectif.»
Nous avons donc une population masculine moins engagée dans la prévention en général, qui se met plus à risque de formes graves et dont une partie (a minima) est moins prompte à adopter les mesures de prévention spécifiques au Covid-19.
Les femmes plus exposées et fragilisées dans leur santé mentale
Qu’en est-il maintenant des femmes? On l’a dit, elles sont moins à risque que les hommes de mourir du Covid et globalement plus soucieuses des questions de prévention. Mais, dans le même temps, elles semblent avoir été davantage contaminées par le virus. Cela s’explique par le fait qu’elles étaient plus présentes dans les métiers du soin et des services et qu’elles occupaient plus souvent des professions précaires ou subalternes, qui ne leur ont pas permis de se mettre en télétravail pendant les confinements –on pense par exemple aux caissières des supermarchés et aux personnels des Ehpad. Les femmes sont aussi, et ce peu importe leur profession, les traditionnelles aidantes auprès des personnes malades et plus fréquemment au contact de leurs enfants.
En outre, les femmes apparaissent plus à risque de développer un Covid long. Paradoxalement, si elles sont plus promptes à s’intéresser aux mesures de prévention, il semble qu’elles aient pu, au moins dans les premiers temps, se montrer plus souvent réfractaires à la vaccination contre le Covid que les hommes.
Mais les femmes ont aussi été plus souvent que les hommes des victimes collatérales de la crise sanitaire. En effet, plusieurs études ont pu mettre en évidence que cette crise avait creusé les inégalités hommes-femmes, notamment en matière d’emploi (et de perte d’emploi) et de revenus, ainsi que de partage des tâches ménagères et de temps passé avec les enfants, et cela dans presque tous les milieux sociaux.
À cette charge mentale, s’est parfois ajouté le poids (en hausse) des violences conjugales. De plus, la santé des femmes a davantage pâti de la crise sanitaire, avec un plus faible accès aux droits sexuels et reproductifs. Mais également parce qu’elles ont davantage été fragilisées dans leur santé mentale, par exemple en matière d’anxiété et de troubles du sommeil.
Pourquoi une défiance féminine envers la vaccination?
À l’aune de tous ces éléments, nous nous posons donc la question de savoir s’il conviendrait de davantage genrer la prévention, c’est-à-dire de mener des actions de santé publique qui soient plus ciblées selon le genre. Pour nous, la question n’est pas tranchée: il nous apparaît sur certains aspects qu’il est important de mener de manière équilibrée entre les hommes et les femmes des campagnes destinées à promouvoir la vaccination, le port du masque, la ventilation ou l’isolement en cas de test positif.
Concernant spécifiquement la vaccination, nous soulignons l’importance d’une communication transparente et en particulier d’étudier les effets indésirables des vaccins liés au genre et d’en informer les personnes concernées. En effet, une part de la défiance féminine envers la vaccination a peut-être été en lien avec les effets possibles de celle-ci sur les menstruations –avec des cycles plus longs et des saignements accrus dans les semaines suivant l’injection.
On peut redouter que ces effets aient pu être considérés par des représentants de l’expertise médicale dans les agences sanitaires, plus souvent des hommes, comme des «problèmes de bonnes femmes», dès lors que la fertilité n’était pas altérée. Pourtant, du point de vue des personnes menstruées, de tels effets ont pu générer une inquiétude légitime.
De plus, des femmes ont aussi pu être plus méfiantes envers la vaccination, parce qu’elles s’inquiétaient davantage des effets indésirables chez les personnes dont elles prenaient soin –enfants et personnes âgées. Là encore, on retrouve l’importance de la transparence et de l’éducation à la racine de la confiance dans les interventions en santé.
Un modèle de prévention à revoir
À ces premières considérations, nous devons ajouter d’autres aspects où des politiques de santé publique davantage genrées pourraient se justifier. Quel est le poids de nos traditions patriarcales dans la perception par nos sociétés occidentales de la médecine de soin et d’urgence, prodiguée par des hommes, et qui renvoie une vision virile de la santé? À l’inverse, la prévention se situerait-t-elle moins dans l’action et serait-elle davantage l’apanage du féminin?
Il nous semble crucial d’œuvrer pour que la prévention ne soit plus vue comme ce volet féminin de la santé. Faut-il une communication spécifique destinée aux hommes, centrée sur les risques de certains comportements (consommation d’alcool, tabagisme, sédentarité, sécurité routière)? Comment les amener à consulter précocement afin de dépister le diabète, l’hypertension, l’excès de cholestérol ou de poids, avant qu’ils ne soient symptomatiques?
La prévention ne saurait reposer uniquement sur les femmes au sein du foyer. Comment faire pour que la gent masculine s’engage davantage dans ce qui a trait à sa santé, ainsi que celle de sa famille? Lorsque famille il y a: nous avons en effet parlé plus haut des hommes célibataires. À leur destination, les professeures Sylvie Borau, Hélène Couprie et Astrid Hopfensitz proposent «de veiller à lutter contre l’isolement des hommes célibataires, afin de susciter leur sentiment d’appartenance et leur désir de protéger les autres. Les inclure davantage dans le tissu social, les aider à créer du lien. Ces mesures, pour l’instant jamais envisagées, pourraient contribuer à améliorer leur respect des consignes, favorisant ainsi leur propre espérance de vie et diminuant globalement les risques de contagion.»
Mais si l’on voulait voir des politiques publiques davantage impliquer les hommes dans la prévention, étant encore à des années-lumière d’un tel changement de paradigme, cela demanderait de mener préalablement d’importants travaux de recherche sociologiques.
Les bénéfices d’une prévention genrée
En découleraient à terme non seulement une meilleure santé masculine –avec une diminution de la vulnérabilité face aux formes graves du Covid, de la grippe ou de l’asthme– mais aussi une meilleure santé publique du fait d’une meilleure protection collective.
En découlerait aussi un soulagement de la charge physique et mentale féminine liée à la prévention et au soin de la famille. Car, et c’est là encore cet autre axe de réflexion pour une prévention genrée que nous appelons de nos vœux, il est également crucial de faire en sorte que les femmes ne soient plus des victimes collatérales d’une crise sanitaire, comme celle du Covid-19. Cela passe ainsi par une meilleure répartition des tâches liées à la famille et au souci porté aux soins. Cela passe aussi par une meilleure prévention et une meilleure reconnaissance des violences conjugales –qu’elles soient physiques, psychologiques, sexuelles ou encore financières.
Enfin, l’anticipation et la planification des crises sanitaires devraient inscrire la préservation d’un accès à la santé, incluant la santé sexuelle, reproductive et la santé mentale.
Considérer une prévention genrée ferait appel à des changements des modes de soins –mais aussi de nos propres stéréotypes– qui nécessiteraient une meilleure prise en compte des particularités féminines et masculines en matière de santé publique, et qui inviteraient le corps médical, celui de l’éducation et la société tout entière à se départir des nombreux biais sexistes qui perdurent encore aujourd’hui –par méconnaissance, voire par habitudes culturelles, plus que par malveillance.
Ces changements permettraient à notre société d’être plus résiliente et mieux armée face à de nouvelles crises sanitaires, face aux épidémies et aux enjeux démographiques du vieillissement.
Lien source : Santé publique: il faudrait genrer la prévention