Temps de lecture : 2 min
Quand on est en deuil, on porte du noir. Quand on est en deuil de Soulages, je crois que la bienséance impose de se couvrir de paillettes des pieds à la tête.
Je vois une porte rouge et j’ai envie de la peindre en noir. Il va bien falloir que je m’y colle de toute façon, car ce n’est plus Pierre Soulages qui pourra s’en charger. Sous prétexte d’avoir eu 102 années d’une vie incroyable et dédiée à l’art, le Pierrot s’est dit qu’il pourrait nous laisser gérer toute cette lumière, tout seuls.
Mais nous, depuis le temps, on a fini par s’en méfier de la lumière, quand elle n’est pas juste là pour rebondir sur les épaisses couches travaillées de peinture du maître de l’outrenoir. La lumière, c’est un piège, les moustiques et les papillons de nuit le prouvent. La lumière, ce sont les spots crus des plateaux de télévision où s’étalent la bêtise, la course à l’indécence en 4×100 mètres nage libre, la politique du «plus c’est con et plus il est urgent de le dire».
La lumière, c’est vulgaire. Pour vivre heureux, il faudrait pouvoir sous-louer l’obscurité. L’ombre est une maison. Le noir, un abri. Dans la lumière, tout pique les yeux. Ce n’est pas pour rien que l’on ne regarde le Soleil que les jours d’éclipse. Et ça, Soulages l’avait magnifiquement compris, avant de s’éclipser lui aussi. Le Soleil a rendez-vous avec la Lune, mais la Lune n’y est pas car elle s’est éteinte à 102 ans. Et la Lune nous laisse dans un monde où tout ce qui brille n’est pas de l’or, loin de là.
Quand on est en deuil, on porte du noir. Quand on est en deuil de Soulages, je crois que la bienséance impose de se couvrir de paillettes des pieds à la tête, de se choisir une tenue qui donnerait au vestiaire de Kurt Cobain de faux airs de placard de Bilal Hassani. Mais je ne sais pas si j’ai la tête aux paillettes. Je crois que j’ai plutôt envie de penser au «Soleil noir» de Barbara.
Mais bon, niveau astre sombre en ce moment ce n’est pas ça, il fait 22°C, un grand soleil pas noir du tout, les moustiques, encore eux, nous piquent les miches, et même si on devrait faire des soupes au potiron et des raclettes, il faut reconnaître que l’heure est plutôt aux «Sex on the beach» engloutis à chaque fois que le mot «catastrophe» apparaît dans un rapport du GIEC. C’est peut-être en en lisant un que Pierrot le sombre s’est dit qu’il était sûrement temps de faire des économies d’énergie de lui-même.
Trouver la lumière dans l’obscurité, soit, mais trouver une note d’espoir dans un océan de prévisions catastrophiques, c’était peut-être la goutte d’encre de Chine qui a fait déborder le lavis. Avant que Noël ne se célèbre autour d’un barbecue, je ne saurais que trop vous conseiller d’aller faire un tour au musée Soulages à Rodez. D’abord, c’est un endroit où vous aurez très peu de chances de trouver un chroniqueur de C8 ou un éditorialiste de CNews, et ça, c’est déjà inestimable.
Ensuite, et pour l’avoir moi-même vécu il y a quelques années, c’est un endroit où tout a beau être noir, sombre comme un cratère sur Mars ou comme l’âme inhospitalière d’un ministre de l’Intérieur, le musée Soulages est un endroit dont on ressort plus phosphorescent qu’une luciole qui aurait léché une pile R6.
L’avenir est sombre, le passé n’est pas franchement mieux, et le présent bien assorti à tout ça, mais nous avons eu la chance de vivre un tout petit peu plus d’un siècle avec un homme qui, tels nos ancêtres qui peignaient la vie extérieure à l’abri, dans l’ombre des cavernes et des grottes, nous a enseigné que de partout peut surgir le beau, le soleil.
Sauf sur C8 bien sûr.
Black is black, I want my Soulages back.
Vivement lundi.
Lien source : Vivement lundi: le noir