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Ces poubelles qui s’entassent, moi je les aime, car elles nous montrent jour après jour dans quel merdier cette réforme des retraites mettra les moins privilégiés.
J’ai deux amours, mon pays et Paris.
Aaaah Paris, sa tour Eiffel qui scintille à chaque heure; ses ponts tous plus beaux les uns que les autres, où il fait bon se faire demander en mariage; ses jolies femmes élancées qui se baladent en talons hauts et bérets basques, un croissant tout chaud entre les dents; ses accordéons qui susurrent du Piaf à chaque coin de rue. Aaaah Paris, son Sacré-Cœur qui est peut-être un symbole de l’oppression face au soulèvement de la Commune, mais qui rend tellement bien en magnet sur les frigos du monde entier. Aaaaah Paris et sa magie romantique. Paris, quoi.
Oui, j’insiste, j’ai deux amours, mon pays et Paris.
Mais on remballe sa baguette Emily, je parle du vrai Paris.
La vraie ville pleine de vrais gens qui n’ont pas une série sur Netflix. Le Paris où il faut parfois jouer des coudes pour rentrer dans un métro. En tout cas les jours où le métro arrive. La ville où il faut toujours vérifier de ne pas marcher sur une crotte de chien, surtout quand on est en train de ramasser la crotte de son chien. La ville où fut un temps roulaient d’ailleurs les bien nommées motocrottes. Une ville où, depuis, ce sont les trottinettes électriques qui circulent à fond sur les trottoirs et obligent à rédiger un testament avant de sortir acheter le pain. En tout cas, jusqu’au 2 avril.
Et puis, Paris, ce sont surtout ces merveilleuses poubelles, qui s’accumulent chaque jour comme autant de sédiments de nos existences et de nos tendances à la surconsommation. Ces poubelles qui ne sont plus ramassées, par des gens qu’on n’a pas écoutés. Des hommes et des femmes qui connaissent autant leurs corps que leurs métiers, et qui n’ont pas d’autre choix que de renoncer à leurs salaires quelques jours pour pouvoir, on l’espère, profiter un peu plus longtemps de la vie, ailleurs que le nez et le reste dans nos déchets.
Alors ça râle côté touristes, parce que les sacs en plastique noir ça fait moche sur les selfies. Alors qu’en vrai c’est eux, les touristes, qui sont moches sur les selfies, c’est pour ça qu’on a inventé les filtres.
Ça râle aussi chez les gens qui ont un métier au chaud, parce que le matin, pour sortir le SUV du parking, faut faire un créneau un peu plus sportif.
Ça râle et, pire, ça donne des leçons de pénibilité au travail sur les plateaux de télé alors que ça n’aplatit même pas son carton de chez Amazon avant de le mettre dans le bac de recyclage et que ça se fait livrer des packs d’eau sur un étage et demi à 22h le soir.
Ces poubelles qui s’entassent, moi je les aime, car elles nous montrent jour après jour dans quel merdier cette réforme des retraites mettra les moins privilégiés, pour ne pas dire les moins privilégiées.
Oui, chaque jour qui passe sans ramassage, ça sent un peu plus le même parfum que celui des idées d’Éric Ciotti en matière de crise migratoire. Oui, on ne va pas tarder à pouvoir faire des remakes un peu low-cost de Ratatouille à chaque mètre de trottoir. Oui, on est plutôt content de ne pas être en plein été en ce moment.
Mais on est aussi heureux de vivre dans un pays où on peut encore dire, même à coup d’épluchures de patates et de couches sales, que non, on n’est pas d’accord. En attendant d’être réquisitionné, du moins.
Allez, vivement lundi. Et pensez au tri.
Lien source : Vivement lundi: les poubelles