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L’actuelle présidente de la Commission européenne viendra rendre des comptes devant le Parlement européen mercredi, alors que le continent européen traverse une crise importante.
L’ambition était sans doute démesurée: faire un discours sur l’état de l’Union au Parlement européen à la façon américaine. Aux États-Unis, ce discours, au cours duquel le président dresse tous les ans devant le Congrès le bilan de son action et présente sa feuille de route pour le reste de l’année, est un moment fort de la vie démocratique américaine. Au niveau de l’Union européenne, soyons honnêtes, le discours de la présidente ou du président de la Commission européenne devant les députés européens reste tous les ans confidentiel, suivi uniquement par les euro-geeks et les professionnels des affaires européennes.
Pourtant, ce mercredi, Ursula von der Leyen, l’actuelle présidente de la Commission européenne, viendra rendre des comptes devant le Parlement européen, directement élu par les citoyens de l’UE et qui vote les lois européennes avec les États membres réunis au Conseil de l’Union européenne. Introduit par le traité de Lisbonne à partir 2010, ce discours sur l’état de l’Union version européenne sera cette année retransmis en direct par France 24 et France Info, ce qui constitue un progrès majeur dans la couverture de l’actualité européenne, encore modeste en France.
Il ne sera pas facile pour Ursula von der Leyen d’accrocher le citoyen. Elle parlera alternativement en allemand, français et anglais, et le discours sera traduit dans les vingt-trois langues de l’UE et en ukrainien. Un biais linguistique qui ne renforcera pas son charisme. Et c’est peu dire qu’elle en manque. «Le plus souvent quand elle s’exprime, c’est froid, c’est extrêmement plat. Il n’y a pas de non verbal, de gestuel», déplore Michaël Malherbe, auteur du blog «Décrypter la communication européenne». «Il n’y a aucune aspérité, ni du côté de la personnalité, ni du côté des engagements et des postures qu’elle prend.»
Un goût d’inachevé
Il faut dire qu’Ursula von der Leyen a le chic pour se faire voler la vedette. Par ses commissaires européens d’abord. Le Français Thierry Breton truste les plateaux télé, qu’il s’agisse de la stratégie vaccinale européenne au plus fort de la crise du Covid-19, de la régulation des géants du numériques, ou encore récemment de la crise énergétique. Et si le Pacte vert européen reste le grand projet de la présidente, cette stratégie de lutte contre le changement climatique prend aussi le visage du charismatique commissaire européen chargé du dossier, le néerlandais Frans Timmermans. Ursula von der Leyen se fait ensuite voler la vedette par les États membres.
Le plan de relance post-Covid de 750 milliards d’euros injectés dans les économies européennes sous forme de prêts et d’aides aux États de l’UE, élaboré et mené par la Commission européenne, restera dans l’histoire le résultat d’un accord entre la France et l’Allemagne en faveur d’une dette commune européenne.
Par ailleurs, à son arrivée aux manettes en 2019, lors d’un discours au Parlement européen, la présidente avait souhaité une Commission «géopolitique», mais ce sont bien les États membres qui donnent le «la» en ce qui concerne les affaires étrangères. Les paquets de sanctions contre la Russie depuis le début de la guerre lancée contre l’Ukraine en février dernier, aux portes de l’Union européenne, ne seraient pas possibles sans l’accord des Vingt-Sept. Les armes fournies par les Européens à l’Ukraine sont achetées au niveau des États membres. Et faute de défense commune, l’Union européenne continue de dépendre de son allié américain, comme le montrent les demandes d’adhésions récentes de la Finlande et de la Suède à l’OTAN.
Dans ces conditions, difficile d’être une force d’incarnation. «Lorsqu’elle a déclaré que l’Ukraine faisait partie de la “famille européenne”, ce qui lui a donné l’étoffe d’une cheffe de famille, elle s’est rapidement faite recadrer. On lui a rappelé que c’étaient les États membres qui décidaient des élargissements de l’Union», rappelle Michaël Malherbe. «Or, il faudrait qu’elle donne davantage chair au projet européen.»
Passée par les écoles européennes à Bruxelles, fille d’un fonctionnaire européen, Ursula von der Leyen semble avoir trop gardé de l’influence allemande depuis sa carrière dans les gouvernements de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel. Elle n’a pas l’épaisseur européenne d’un Jean-Claude Junker, son prédécesseur, qui a passé de longues années dans les cénacles bruxellois. Et l’épisode du #sofagate, qui l’aura vue s’indigner d’un protocole ne lui prévoyant pas de siège lors d’une visite avec son homologue et rival, le président du conseil européen Charles Michel, au président turc Erdoğan, aurait pu être suivi d’un engagement féministe marqué, mais rien de cela.
«Il y a de l’inachevé et un manque d’émancipation dans son message, poursuit le spécialiste en communication, contrairement à une autre présidente, Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, qui aime à dire qu’elle a fait toute sa carrière à Bruxelles et est en train de construire le récit d’une femme politique européenne épanouie.» Un comble pour cette Maltaise taxée d’être anti-avortement.
«Elle avait annoncé une commission géopolitique, c’est le moment de le prouver.»
Mercredi, la présidente Ursula von der Leyen fera son discours de mi-mandat. Sans doute le plus important alors que la guerre a fait son retour sur le continent européen, que les démocraties libérales n’ont jamais été aussi menacées et que l’Union européenne traverse une grave crise énergétique.
«Elle avait annoncé une commission géopolitique, c’est le moment de le prouver», estime le député européen de Place publique, Raphaël Glucksmann. «Le soutien des opinions publiques à l’Ukraine et autour des sanctions contre le régime russe est en train de s’éroder. On retrouve des sociétés fragiles, vulnérables. On a besoin que la commission européenne affirme un leadership et nous explique pourquoi il faut ces sanctions, pourquoi il faut cette politique de fermeté à l’égard de Vladimir Poutine et surtout comment on va faire pour passer l’hiver, qu’il n’y ait pas de pénurie et que les efforts demandés aux citoyens soient justement répartis.»
Pressée d’agir sur la question énergétique par Charles Michel, Ursula von der Leyen a dû dévoiler ses propositions sans attendre le discours phare du 14 septembre: plan de réduction de la consommation d’énergie, «contribution de solidarité» des compagnies des secteurs du pétrole et du gaz, redistribution des superprofits de certains producteurs d’électricité… Un paquet de mesures est en discussion.
Mais le vrai tournant serait celui du découplage des prix du gaz des autres sources d’énergie. Ces derniers contribuent à alourdir drastiquement les factures des Européens depuis que le gaz est devenu une arme brandie par Vladimir Poutine face à l’Union européenne; or, de plus en plus d’États le réclament à la Commission européenne. Dans les cartons, la grande réforme reste toutefois à peaufiner et rien ne dit qu’elle sera annoncée mercredi.
Lien source : Discours sur l'état de l'Union: l'exercice s'annonce compliqué pour Ursula Von der Leyen