La calvitie n’a pas toujours été stigmatisée

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Avant l’image négative moderne, donnée par la publicité ou les médias de masse, la perte des cheveux ne subissait pas le même traitement dans les représentations artistiques et culturelles.

La Leçon d'anatomie du docteur Nicolaes Tulp, peint par Rembrandt en 1632 et exposé à la Mauritshuis de La Haye (Pays-Bas). | via Wikimedia Commons
La Leçon d’anatomie du docteur Nicolaes Tulp, peint par Rembrandt en 1632 et exposé à la Mauritshuis de La Haye (Pays-Bas). | via Wikimedia Commons

L’alopécie (communément appelée calvitie) est très répandue, puisqu’elle touche environ 50% des hommes au-delà de 50 ans. Elle est également sans conséquence sur la santé (les hommes chauves vivent aussi longtemps que les autres). Alors pourquoi, dans son autobiographie récemment publiée, le prince Harry qualifie-t-il la calvitie de son frère d’«alarmante»?

En tant que psychologue social spécialisé dans la calvitie (et auteur d’un livre à paraître intitulé Branding Baldness), je sais qu’elle n’a pas toujours été stigmatisée, comme en témoigne la représentation d’hommes chauves dans l’histoire de l’art.

Historiquement, la calvitie était traitée avec neutralité, comme un élément normal de la vie quotidienne. En 2019, le professeur d’égyptologie Samar Mostafa Kamal a trouvé des preuves de la présence de 122 hommes chauves peints dans des tombes privées de l’Égypte ancienne, entre 2613 et 525 avant J.-C.

La plupart de ces hommes étaient visiblement âgés (leurs cheveux restants étaient blancs). Ils étaient représentés dans diverses sphères de la société égyptienne, de l’agriculture à la pêche, en passant par la sculpture et la gravure. L’art suggère que les anciens Égyptiens ne traitaient pas les hommes chauves différemment de leurs pairs chevelus.

Samar Mostafa Kamal a également observé que les anciens Égyptiens avaient des termes spécifiques pour désigner la calvitie masculine, qu’ils incluaient une «ligne de calvitie» lors de la momification et qu’ils avaient différentes coiffures pour les chauves (par exemple, courtes sur toute la surface ou longues à l’arrière).

Les hommes chauves dans la peinture européenne

L’art européen illustre également la banalité historique de la calvitie. Le tableau À la porte de l’éternité, peint par Vincent van Gogh en 1890, représente le retraité néerlandais chauve Adrianus Jacobus Zuyderland.

À la porte de l’éternité, peint par Vincent van Gogh en 1890 à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) et exposé au musée Kröller-Müller d’Otterlo (Pays-Bas). | via Wikimedia Commons

Alors que le tableau évoque un sentiment de désespoir existentiel, la calvitie d’Adrianus Jacobus Zuyderland est une caractéristique neutre, voire attrayante de la représentation. Dans une de ses Lettres adressée à son frère Theo, Vincent van Gogh a ainsi décrit le tableau: «Quel beau spectacle que celui d’un vieil ouvrier dans son costume de bombazine rapiécé et son crâne chauve.»

Ce retraité néerlandais et modèle de Van Gogh n’est pas une exception. Il existe de nombreux autres hommes chauves représentés de manière neutre dans l’art. Par exemple, le peintre néerlandais Frans van Mieris le Jeune a représenté un homme chauve en train de savourer un déjeuner dans une taverne, dans son tableau Un homme avec une cruche (1739).

Un homme avec une cruche, peint par Frans van Mieris le Jeune en 1739 et exposé au Fitzwilliam Museum de l’université de Cambridge (Angleterre). | via Wikimedia Commons

Historiquement, les hommes chauves ont également été idéalisés dans l’art. Par exemple, le tableau Le Père éternel, du peintre italien de la Renaissance Paul Véronèse, représente un Dieu chauve accomplissant un miracle éthéré.

La Leçon d’anatomie du docteur Nicolaes Tulp de Rembrandt (1632) montre plusieurs médecins, qui souffrent d’alopécie, en train d’étudier la dissection. Le portrait Ambroise Vollard (1908) de l’impressionniste Pierre-Auguste Renoir représente le collectionneur d’art chauve éponyme.

Ambroise Vollard, huile sur toile peinte par Pierre-Auguste Renoir en 1908 et conservée à l’Institut Courtauld de l’université de Londres. | via Wikimedia Commons

De nombreuses autres preuves historiques remettent en question l’affirmation selon laquelle la calvitie aurait de quoi «alarmer». Les personnages religieux chauves peuplent presque toutes les confessions. Il y a Bouddha, les saints chrétiens Jérôme et Augustin, ainsi que des divinités chauves, comme les dieux japonais Fukurokuju et Hotei.

Les directives religieuses et politiques ont également favorisé la calvitie. Cela va de la tonsure des moines chrétiens, où les cheveux poussaient autour d’une partie centrale du cuir chevelu rasée, aux coupes de cheveux mandchoues, où les cheveux à l’arrière de la tête étaient rassemblés en une longue tresse [aussi appelée natte chinoise, ndlr], tandis que le reste de la tête était rasé.

La calvitie devient «alarmante»: publicité et médias de masse

Aux XXe et XXIe siècles, le marketing de masse des produits anti-calvitie a transformé la perception de la calvitie, qui est passée d’une esthétique banale à une maladie désavantageuse, nécessitant un «remède».

Ces «remèdes» vont des produits coûteux et inefficaces de type «huile de serpent», aux formulations approuvées par les autorités réglementaires qui ont certaines propriétés (bien que limitées) de repousse des cheveux, telles que le minoxidil.

La publicité pour ces produits a entretenu l’idée que la calvitie est «alarmante». En 2013, le professeur de sociolinguistique Kevin Harvey a observé que les publicités en ligne contre la calvitie présentent les hommes aux cheveux comme séduisants, prospères et heureux.

En revanche, les mêmes publicités promeuvent l’idée que la calvitie est une maladie qui affecte gravement les hommes et les désavantage. Les publicités pour le soin anti-chute Renaxil de L’Oréal, par exemple, montrent des follicules pileux au bord du suicide. Les flacons de Renaxil sont représentés en train de leur tendre la main pour les sauver.

Dans les médias contemporains, la calvitie est rarement vue, en dehors des quelques acteurs de cinéma (tels que Jason Statham, Vin Diesel ou Bruce Willis) qui ont fait de l’absence de cheveux un véritable argument de vente. Une étude menée en 2006 a révélé que seuls 3% des 1.356 personnages des émissions télévisées américaines populaires pour enfants étaient chauves.

Dans une étude que j’ai menée sur 5.000 images d’hommes dans des magazines populaires publiées entre 2011 et 2012, nous avons constaté que seulement 8% d’entre eux étaient chauves.

De nombreuses représentations contemporaines de la calvitie contiennent également des stéréotypes négatifs. Le site web TV Tropes indique que les personnages chauves de la télévision et du cinéma ont tendance à être des méchants ou des personnes âgées. Une autre étude a révélé que plus de 60% des acteurs de télévision des années 1980 présentent les personnages chauves comme «laids», incompétents ou paresseux.

L’alarmisme autour de la calvitie est même encouragé par la recherche universitaire. La Dr Hannah Frith et moi-même avons récemment découvert qu’environ 80% des études psychologiques sur la calvitie entretenaient des liens avec des entreprises spécialisées dans la lutte contre la calvitie. Ces études tendent à dépeindre la calvitie comme une maladie (77%) et à promouvoir des produits contre la calvitie (60%), sans discussion sérieuse sur leurs limites (68%).

Les représentations modernes de la calvitie à la télévision, dans la publicité et dans la recherche affirment que la perte de cheveux est un désavantage et une maladie. Mais un regard sur l’histoire de l’art montre que cela n’a pas toujours été le cas. Les hommes chauves peuvent être en bonne santé, réussir et être heureux, tout autant que leurs homologues chevelus.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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